Comment trouver l’équilibre entre sécurité et liberté dans l’espace public ?

Au mois de janvier le cabinet XP Guyon était présent aux universités de la sécurité AN2V à Lyon. La sécurité dans l’espace public était l’un des thèmes de réflexion qui ont animé les conférences. Au mois d’avril, ARTE diffusait un documentaire intitulé « L’intelligence artificielle et nous » qui interroge sur l’usage des nouvelles technologies et la liberté individuelle. Dans le domaine de la sécurité l’intelligence artificielle a fait ses preuves : reconnaissance thermique pour lutter contre le COVID-19, lecture automatique des plaques d’immatriculation (LAPI) ou encore reconnaissance faciale sont déjà utilisées dans de nombreux pays. Le 23 avril dernier, trois marchés extérieurs de la ville de Cannes ont été équipés de caméras pouvant repérer les personnes masquées afin de s’assurer du respect des gestes barrières. Ce dispositif va être élargi aux transports en commun.

Pourtant certaines technologies font l’objet de blocages administratifs ou réglementaires en France.

La reconnaissance thermique

Dans le cadre de la lutte contre le COVID-19, le gouvernement autorise maintenant la prise de température à l’entrée des entreprises. Cependant, comme le précise le site legiSocial, l’utilisation de caméras thermiques est soumise au code du travail et doit faire l’objet d’une note de service valant adjonction au règlement intérieur.

La mise en oeuvre doit respecter le principe de proportionnalité et la confidentialité des données utilisateurs. Enfin la procédure doit être clairement expliquée aux employés et aux visiteurs, notamment en cas de température corporelle trop élevée.

La reconnaissance faciale

Au sein de l’Union Européenne, les règles en vigueur ne sont pas les mêmes selon les pays. Par exemple la reconnaissance faciale est utilisée en Espagne dans la gare routière de Madrid qui comptabilise chaque année 324 000 départs et arrivées d’autocars transportant des millions de voyageurs. « Or la dizaine de caméras d’Axis installées embarquent de la reconnaissance faciale », indique Dominique Legrand, président de l’AN2V. « Pour autant que je sache, l’Espagne ne respecte pas moins le RGPD que la France. Cependant, on ne peut envisager une telle situation en France à cause de la Cnil »

La détection sonore

Le vidéoprotection peut être completée par la détection sonore basée sur l’Intelligence Artificielle. C’est ce que propose la société Serenicity.

La ville de Saint-Etienne a voulu expérimenter ce dispositif en équipant ses rues d’une cinquantaine de capteurs sonores. L’objectif était de détecter des sons bien particuliers comme un pare-brise qui se casse ou un coup de feu. La police aurait été automatiquement alertée, permettant une intervention plus rapide.

Pourtant en octobre dernier, Gaël Perdriau, maire de Saint-Etienne, renonce à l’installation des capteurs. La Cnil a donné un avis défavorable : « Le traitement de données à caractère personnel en question ne saurait être mis en œuvre de façon licite. » Associé à la vidéosurveillance, le système « comporte des risques substantiels pour les libertés individuelles. » Malgré son efficacité, cette technologie est jugée trop intrusive.

« La ville de Saint-Étienne a reçu juste un avis défavorable. Pas une sanction. Encore moins une sommation. C’est dire l’incroyable puissance de feu de la Cnil. » indique Dominique Legrand. Suite à ce revers, la société Serenicity et d’autres acteurs de la détection sonore ont vu leurs commandes suspendues. « Pour chaque projet, surtout les projets ambitieux, on marche sur des œufs. » ajoute le président de l’AN2V.

La LAPI

L’exploitation d’un système de Lecture Automatique des Plaques d’Immatriculation est tout aussi délicate. « On a le droit d’enregistrer des Tera-octets d’images vidéo mais pas les 3 Ko avec juste les numéros de plaques. En effet, aucun Centre de sécurité urbain (CSU) n’a le droit de monter un réseau LAPI. Seul un officier de la police judiciaire ou de la gendarmerie nationale a le droit de lire les plaques, pas le maire. » explique Dominique Legrand. Dès lors les maires ne veulent pas investir dans un dispositif qui serait à l’usage exclusif de l’Etat.

Dans l’attente d’un positionnement clair de la CNIL

Pour les entreprises comme pour les collectivités, les règles doivent être clairement établies par la CNIL. « Pour des technologies aussi sensibles et pointues que la reconnaissance faciale, il faudrait demander à la Cnil de se positionner. De s’engager en disant ce qui est valable et ce qui ne l’est pas. Avec des fiches », demande Jean-Michel Mis.

Il faut par exemple distinguer l’identification faciale de l’authentification faciale. Cette dernière compare le visage d’un individu aux données inscrites dans un document officiel comme le passeport biométrique et affichées grâce à un QR code sur un billet. Ce système pourrait être déployé pour la coupe du monde de Rugby ou les JO 2024.

L’identification faciale permet de vous identifier dans une foule. Pour cela elle utilise la base de donnée d’une entreprise ou de la police et compare les photos enregistrées aux visages captés par la vidéosurveillance. Contrairement à l’authentification, cette opération est réalisée sans le consentement des individus.

Cette technique est largement utilisée dans certains pays comme la Chine, qui l’utilise pour évaluer le comportement des citoyens et les sanctionner, en les empêchant ensuite d’accéder à des services publics ou privés ou de les récompenser en réduisant certaines de leurs factures ou en les favorisant sur des applications de rencontre ! Les GAFAM en font également usage pour obtenir un maximum de données personnelles.

Pour modérer l’usage de l’identification faciale, la CNIL invoque les principes de proportionnalité et de finalité. Les moyens mis en oeuvre pour la sécurité quotidienne de l’espace public ne seront pas les mêmes que pour traquer ou retrouver un terroriste.

Le ministre de l’intérieur devrait publier sous peu un livre blanc sur les usages des nouvelles technologies, et particulièrement celles à destination des forces de l’ordre. Suite à cette publication une « loi de programmation pour la sécurité intérieure » devrait voir le jour.

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